Analyses & Studies

Synthèse économique de l'Irlande - Mars 2019

Relations franco-irlandaises

Visite de M. Bruno Le Maire – Le ministre de l’Economie et des Finances, M. Bruno Le Maire, était en visite à Dublin le 26 février dernier, pour évoquer le Brexit, l’avenir de la zone euro et la fiscalité du numérique. Outre son homologue, M. Paschal Donohoe, le ministre s’est entretenu avec le Taoiseach Leo Varadkar et a donné une conférence à l’Institute of International and European Affairs.

M. Donohoe a reconnu que la fiscalité des entreprises du numérique devait changer pour s’adapter au XXIème siècle et que les multinationales devaient s’acquitter de leur juste part d’impôts. Pour autant, il a insisté sur le fait que les intérêts des « petites économies exportatrices » ne devaient pas être affectés de manière disproportionnée. M. Donohoe a ainsi pris acte des différences de vue entre la France et l’Irlande et reconnu le rôle de « leadership » du Président de la République et de M. Le Maire sur ces questions. M. Le Maire a rappelé la nécessité de modifier la fiscalité internationale du numérique afin de la rendre plus juste et plus efficace ; il a réaffirmé le soutien de la France à une solution européenne temporaire. Les deux ministres ont annoncé que la France et l’Irlande entameraient des travaux techniques afin de rapprocher leur position à l’OCDE, une solution au niveau international demeurant, selon eux, la meilleure option.

Les deux ministres ont reconnu la nécessité de renforcer la zone euro, dont la construction demeure incomplète. M. Le Maire a défendu la création d’un budget pour la zone euro, rappelant que l’absence d’instrument budgétaire avait eu de graves conséquences pour de nombreux Etats membres pendant la crise. Plus réservé, M. Donohoe a toutefois déclaré qu’il acceptait la nécessité de créer un instrument dédié à la zone euro et assurant une fonction de stabilisation en cas de crise. 

Sur le Brexit, M. Le Maire a rappelé le soutien total et inconditionnel de la France à l’Irlande – assurant notamment que ce soutien n’était pas conditionné à des avancés sur les questions fiscales, sur lesquelles l’Irlande demeure le principal point de blocage. Sur la question d’une éventuelle extension de l’article 50, M. Donohoe a déclaré que, si le Royaume-Uni en faisait la demande, l’Irlande ne s’y opposerait pas ; M. Le Maire a indiqué qu’une extension devait être conditionnée à un objectif précis. Les deux ministres ont par ailleurs rappelé leur attachement à l’accord de retrait négocié par Michel Barnier, qu’ils considèrent comme « juste et équitable ».  

 

Macroéconomie

Activité économique – Le PMI manufacturier est reparti à la hausse en février, à 54,0, après avoir ralenti à 52,6 le mois précédent – son niveau le plus faible en deux ans, bien que toujours en territoire positif. Cette hausse contraste avec le net ralentissement du PMI manufacturier de la zone euro, qui est entré en territoire négatif en février, à 49,2. Les entreprises irlandaises sondées rapportent notamment une hausse de la production et de l’emploi, ainsi qu’une demande soutenue en provenance des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Par ailleurs, elles affirment augmenter leurs stocks en prévision du 29 mars prochain – date officielle du Brexit, à l’heure actuelle. Le PMI des services est également en hausse en février, à 55,9 – contre 54,2 le mois précédent, son plus bas niveau en 5 ans.

Confiance des consommateurs – La confiance des consommateurs en Irlande a atteint en février son plus bas niveau en 4 ans et sa plus forte baisse mensuelle depuis 2012, avec un indice s’établissant à 86,5 contre 98,8 en janvier et 105,2 en février 2018, selon un sondage réalisé par le think-tank irlandais ESRI et la banque KBC. Cette baisse contraste avec la hausse marginale de la confiance des consommateurs observée en zone euro et, plus surprenant, au Royaume-Uni. Les composantes de l’indice de confiance des consommateurs irlandais affichent une trajectoire opposée : l’indice « conditions actuelles » demeure élevé (119,7) tandis que celui sur les « perspectives » chute fortement (64,1). L’incertitude entourant le Brexit parait ainsi expliquer à elle seule la chute de l’indice. L’éventuelle adoption par le parlement britannique de l’accord négocié par Theresa May ou l’extension de l’article 50 pourraient atténuer l’incertitude et permettre à l’indice de repartir à la hausse en mars.

Chômage – Le taux de chômage en Irlande était en baisse de -0,1pp en février (glissement mensuel), à 5,6% corrigé des variations saisonnières (cvs). Les chiffres du chômage ont toutefois été révisés à la hausse pour les mois précédents (de +0,4pt en janvier 2019 à 5,7 %). Alors que les estimations précédentes faisaient état d’une baisse du chômage de -0,7pp entre janvier 2018 (6,0%) et janvier 2019 (5,3%), les nouvelles estimations atténuent cette diminution (-0,2pp). Sur un an, la trajectoire de la courbe du chômage, précédemment clairement décroissante, paraît en réalité plus stable. Le taux de chômage des jeunes a également été revu à la hausse, passant de 12,4% en janvier lors de l’estimation précédente à 13,9% selon les nouvelles estimations. La trajectoire a également été révisée : entre janvier 2018 et janvier 2019, le taux de chômage des jeunes a augmenté de +0,6pp, tandis que l’estimation précédente faisait état d’une baisse de -1,3pp. En février 2019, ce taux s’établit à 13,8%, en baisse de -0,1pp sur le mois. Ces nouveaux chiffres montrent que, malgré le fort dynamisme de l’économie irlandaise, le chômage des jeunes peine à refluer. 

Salaires – Les salaires continuent de progresser à un rythme soutenu en Irlande. En 2018, le salaire horaire moyen a augmenté de +3,0% par rapport à l’année précédente, s’établissant à 23,1€ - soit un salaire annuel moyen de 38 925 €. Le secteur privé a connu la hausse la plus rapide, de +3,0%, notamment dans l’industrie minière et l’extraction (+7,7%, à 25,3 €/h), le secteur de l’information et de la communication (+7,2%, à 32,3 €/h), le secteur du transport et stockage (+5,8%, à 22,5 €/h), la construction (+4,4%, à 21,0 €/h) et les services financiers et assurantiels (+4,2%, à 33,0 €/h). Le salaire moyen annuel dans le secteur privé s’établit ainsi à 35 795 € en 2018. Si le secteur public a connu une hausse moins rapide (+2,5%), les niveaux moyens des salaires demeurent bien plus élevés, notamment dans l’éducation (+3,8%, à 40,2€/h) et la police (+1,1%, à 30,1€/h). Le salaire annuel moyen dans le secteur public s’établit ainsi à 49 940€, soit près de 40% de plus que celui du secteur privé.

Immobilier – L’inflation sur le marché immobilier continue de ralentir en Irlande. Selon l’indice des prix des propriétés résidentielles, l’inflation est « tombée » à +6,5% en décembre en glissement annuel (g.a) contre +7,2% le mois précédent et +12,1% en décembre 2017. Ce ralentissement ne concerne toutefois que Dublin. Le renforcement des règles macro-prudentielles de la Banque centrale irlandaise (CBI) – qui limitent le nombre de crédits hypothécaires dont la valeur est supérieure à 3,5 fois les revenus annuels de l’emprunteur – contribue incontestablement à limiter la demande dans la capitale, où les prix des logements sont moins abordables : l’inflation annuelle y a ainsi atteint +3,8% en décembre, contre +9,6% dans le reste du pays. A l’inverse, de nombreuses régions continuent de faire face à une inflation à deux chiffres : les Midlands (+11%), l’Ouest (+11%), le Mid-Ouest (+19%), le Sud-Est (+10%) et le Sud-Ouest (+10%). Malgré ces taux de croissance relativement élevés, le niveau des prix fin 2018 ne représentait qu’environ 80% du niveau des prix atteint lors du pic de 2007. En campagne pour les élections européennes et municipales, le Taoiseach (Premier ministre), Leo Varadkar, a par ailleurs annoncé un gel de la taxe foncière en Irlande (normalement indexée sur la valeur vénale des biens).

 

Investissement et compétitivité

Commerce extérieur 2018 – En 2018, les échanges commerciaux entre l’Irlande et le reste du monde ont atteint plus de 230 Mds€ (+14,4% par rapport à 2017 - un record historique). Toujours largement dominées par les produits chimiques et pharmaceutiques (60% des exportations totales), les exportations irlandaises de biens ont crû de +14,8% sur l’année à 140 Mds€, tandis que les importations (dominées par les aéronefs à 23% et les produits chimiques et pharmaceutiques à 22%) ont augmenté de +13,9% à 90 Mds€. Le solde commercial est en légère augmentation (+50 Mds€). Les Etats-Unis demeurent le principal client de l’Irlande (28% de ses exportations) et le Royaume-Uni, son principal fournisseur (22% des importations). La déprécation de la livre sterling face à l’euro (effet Brexit) a logiquement provoqué une diminution des exportations irlandaises à destination du Royaume-Uni et une augmentation des importations irlandaises. Les exportations à destination de la Belgique – l’une des plaques tournantes du commerce européen – profitent d’une redirection des flux commerciaux et augmentent fortement (+38%), devenant ainsi la deuxième destination des exportations irlandaises de biens (13% des parts de marché). La France demeure le 3e fournisseur de l’Irlande (12,5% des importations totales) et devient son 8e client (-1 place par rapport à 2017 avec moins de 4% des parts de marché). Selon les douanes irlandaises, la France serait le plus important déficit commercial de l’Irlande à -6,0 Mds€. A l’inverse, selon les douanes françaises, la France affiche un déficit de 3,4 Mds € avec l’Irlande (-11,5 %), les exportations françaises à destination de l’Irlande s’élèvent à 3,2 Mds€ (+12,1%) et les importations en provenance d’Irlande à 6,6 Mds€ (-1,5%).

 

Finances publiques

Exchequer – Le budget du gouvernement central a affiché des recettes en hausse de +3,7% sur les deux premiers mois 2018 par rapport à la même époque l’année dernière, à 8,1 Md€. Les recettes collectées en février (2,7 Mds€), sont inférieures de 1,8% aux prévisions en raison de l’impôt sur le revenu (-9%) et de la TVA (-37%). Sur les deux premiers mois de l’année, les dépenses courantes sont en hausse de +7,6% par rapport aux deux premiers mois 2017, principalement en raison de dérapages des dépenses de santé, mais demeure conforme à la trajectoire prévue par le budget 2019 (trajectoire toutefois qualifiée de « généreuse » par les analystes de Davy Research).

Le Chiffre du Mois

4,4 millions

C’est le nombre d’hectares de terres agricoles en Irlande, ce qui représente près des deux tiers du territoire total du pays (6,9 millions ha). Pour autant, l’agriculture ne représente que 2,5% du PIB du pays. L’Irlande compte ainsi 137 500 fermes d’une surface moyenne de 32,4 ha, selon le dernier recensement mené en 2016 (contre 61 ha en moyenne en France). Les terres agricoles sont très majoritairement utilisées pour l’élevage : 4,1 millions d’ha sont alloués aux pâturages contre « seulement » 280 000 ha pour la culture de céréales et 9 000 ha pour celle de la pomme de terre. L’Irlande compte ainsi 1,5 bovin par habitant (7,2 millions) et  1 ovin par habitant (5,1 millions). Par ailleurs, la population agricole est très majoritairement masculine : les hommes représentent 88% de la profession. 30% des agriculteurs ont plus de 65 ans tandis que seuls 5% ont moins de 35 ans.

 

Secteur financier

Secteur bancaire irlandais – L’année 2018 a été marquée par une baisse significative et continue de l’exposition non performante – grâce aux cessions de portefeuilles à des tierces parties – et par une croissance de l’encours de crédit dans les trois principales banques irlandaises : Bank of Ireland (BoI), Allied Irish Bank (AIB) et Permanent TSB (PTSB).

BoI a réduit son exposition non-performante de -24% au cours de l’année dernière à 5 Mds€, soit 6,3% de son encours de prêts. L’octroi de nouveaux prêts a atteint 15,9 Mds€ (+13% par rapport à 2017). Le résultat avant impôts a cependant diminué de -13% à 935M€, en raison d’une baisse de la marge net d’intérêts de 2,29% en 2017 à 2,20% en 2018.

AIB a considérablement réduit (-41 %) son exposition non performante en 2018, à 6,1 Mds€ : les prêts non performants ne représentent « plus que » 9,6% de son encours. AIB a octroyé 12,1 Mds€ de nouveaux prêts (+15% par rapport à 2017). Son résultat avant impôts est en baisse de -4,5%, à 1,25 Mds€.

PTSB a affiché la plus forte réduction d’exposition non-performante (-70%) sur l’année 2018 grâce à la cession de 3,6 Mds€ de PNP à des tierces parties. Les PNP représentent maintenant 10% de son encours de prêts, contre 26% l’année précédente. L’octroi de nouveaux prêts affiche également une croissance solide de +40%, à 1,5 Mds€, tandis que le résultat avant impôts est en hausse de +45%, à 94M€.

 

Brexit

Loi Omnibus – Le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Simon Coveney, a présenté fin mars la loi « Omnibus » qui doit préparer l’Irlande à la sortie du Royaume-Uni de l’UE sans accord. M. Coveney a rappelé que le gouvernement souhaitait que cette loi reste « sur l’étagère » et préférait ne pas avoir à l’utiliser. Le texte doit être validé par le Parlement avant le vendredi 15 mars afin de pouvoir entrer en vigueur le 29 mars. Il garantit entre autres la continuité de la zone de circulation commune entre le RU et l’Irlande ainsi que les bénéfices attenants (santé, retraite et mobilité étudiante). Les questions liées au transport sur l’île d’Irlande (réseau de bus, reconnaissance des qualifications pour les chauffeurs) et au secteur de l’énergie sont également adressées (intégrité du marché électrique unique de l’île). Le porte-parole du Fianna Fáil sur le Brexit a estimé que cette loi arrivait trop tard (le passage au Parlement devrait durer trois semaines). Le Sinn Fein a quant à lui annoncé qu’il faciliterait le passage de la loi tout en regrettant que le gouvernement n’étudie pas la possibilité d’une unification de l’île.

 

Source: DG Trésor

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